mercoledì 20 giugno 2012

Le Comte de Chambord et la vie internationale de son époque (1984) la tradition politique de nos rois au XIXe siècle

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On connait surtout le comte de Chambord pour sa défense du bien commun et des humbles contre une bourgeoisie révolutionnaire individualiste et matérialiste. Sa clairvoyance géo-politique est en revanche largement ignorée : Henri V perçoit très bien le danger que le nationalisme allemand fait courir à l’Europe, et celui que le nationalisme italien fait peser sur la chrétienté en s’attaquant au Pape. À l’opposé de la politique étrangère impérialiste et mercantile de la République, il prône pour la France, une mission civilisatrice et pacificatrice largement héritée du modèle capétien.

Table des matières

Introduction de Vive le Roy

Texte de Philippe MONTILLET tiré la revue La Science Historique, été-automne 1984, nouvelle série, n° 8-9, p. 12-26.

Henri V ou la défense du bien commun

Les réactions passionnelles suscitées par le Comte de Chambord

La personnalité du Comte de Chambord, cent ans après sa mort, reste encore peu et mal connue.
Peu d’historiens, malgré l’importance qu’il tint dans la vie politique française et européenne de 1830 à sa mort, lui ont consacré des travaux [1].

Surtout, dès son vivant, et encore plus après 1883 il fut l’objet des passions, des uns et des autres.
Objet des passions car c’était le dernier héritier direct des quarante rois qui ont fait la France, évincé du trône par son cousin Louis-Philippe d’Orléans, nommé régent, et dont les descendants par la suite ont voulu prétendre être ses héritiers. Situation ambiguë, qui équivaudrait, si on plaçait cela sur le plan privé, à voir l’assassin revendiquer l’héritage de sa victime.
L’héritage en l’occurrence étant le trône de France, on comprend que les passions aient été vives dans les écrits concernant le prince.

Mais passions aussi car le Comte de Chambord est l’incarnation vivante de principes que tout son siècle veut au nom d’idées nouvelles rejeter ; de principes que les privilégiés en place depuis la Révolution (acheteurs de biens nationaux entre autres), manipulant l’opinion publique, rendent odieux car ils vont contre leurs intérêts de classe.
Encore plus que ces deux prédécesseurs et parce qu’en son temps le recul est suffisant pour se faire une meilleure idée, le Comte de Chambord, Henri V, représente la Monarchie française traditionnelle, faite d’équilibre, d’ordre, d’harmonie entre les différents groupes sociaux qui tous doivent œuvrer pour le bien commun, base du bonheur individuel tant il est vrai que l’homme est un animal social [2].
Monarchie chrétienne aussi et surtout avec tout ce que cela comporte de reconnaissance de la dignité humaine, dans un monde qui à force de proclamer partout les droits de l’homme a recréé le servage ouvrier.

La tradition monarchique, rempart contre l’égoïsme de la bourgeoisie révolutionnaire

Henri V avait compris la nécessité de réaffirmer haut et clair les principes de la Monarchie en ces temps où les premiers effets des nouvelles conceptions politiques (souveraineté populaire, démocratie parlementaire) se font vraiment sentir.
C’est ce qui explique ce que d’aucuns qualifient de grand refus du Comte de Chambord à propos du refus du drapeau tricolore en 1873.

Or comme avait essayé de le clamer le Prince — mais des intérêts puissants empêchèrent sa voix d’être entendue — ce ne sont pas les couleurs du drapeau qui lui importaient [3] mais les principes que les drapeaux incarnent.
 Le drapeau blanc, c’est la Monarchie telle qu’on vient de la décrire.
 Le drapeau tricolore, même avec un roi à la tête du pays, ce sont les idées pernicieuses, intrinsèquement perverses [4], de la Révolution.

Or, de 1830 à 1873, le Prince a pu voir ces idées à l’œuvre.
C’est en effet après la Révolution de 1830 que les idées nouvelles triomphent totalement, prennent leur autonomie. En effet, avant, de 1789 à 1830, le personnel politique eh place est encore formé à l’école de l’Ancien Régime ; les textes (voir par exemple la Constitution de 1791), les attitudes (voir Napoléon et son culte de la cour, des mariages princiers, etc.) sont encore calqués sur le modèle ancien. Avec l’avènement de Louis-Philippe c’est une nouvelle génération qui prend le pouvoir, une génération sans référence, et donc progressiste par essence.

C’est toute la différence avec le Comte de Chambord qui, lui, peut se comporter réellement en héritier, en légataire de toute une tradition séculaire qui lui permet de juger les idées nouvelles à l’expérience du vécu passé.
Sa clairvoyante lucidité ne sera qu’une parfaite connaissance, acquise et transmise au cours des siècles, des hommes et des choses.

Ainsi il peut voir que les idées nouvelles :
 ce sont dès son époque celle du déracinement du peuple des campagnes, relativement libre jusque-là, et son asservissement aux grandes manufactures des villes.
 ce sont les ouvriers qui ne sont désormais plus protégés par aucune loi, depuis les suppressions des corporations et jurandes ;
 ce sont les femmes et les enfants au travail dans les mines et les fabriques.
 ce sont les agriculteurs appauvris par les propriétaires terriens, enrichis par les ventes des biens nationaux et qui sont des patrons bien plus rudes que les anciens seigneurs qui certes, avant la nuit du 4 août 1789, étaient propriétaires en titre des terres, mais qui, héritiers des vieilles doctrines chrétiennes, savaient qu’au-delà de la propriété juridique il en est une autre conférée par l’usage et par le travail de leurs fermiers. La conception du domaine héritée du moyen âge est bien différente de la nouvelle conception exclusive de la propriété terrienne issue du code civil.
 Les idées nouvelles c’est aussi un État qui devient chaque jour de plus en plus omniprésent et qui s’impose jusque dans la vie privée des individus, créant une dépendance toujours plus grande. Les libertés individuelles défendues sous l’Ancien Régime, ont peu à peu cédé la place à cette fameuse Liberté qui n’est en fait que le petit domaine, chaque jour un peu plus rogné, que l’État veut bien encore octroyer à chacun.
 Les idées nouvelles, ce sont aussi les méfaits d’une politique soumise non plus aux intérêts supérieurs de l’État, mais soumise aux intérêts des partis et des factions en place.

L’engagement d’un prince en exil

Or, à tout cela, le Comte de Chambord a répondu.
C’est là finalement, en partie, la force que lui confère son exil. Il lui permet de prendre du recul. Il l’a fait pour la politique intérieure de la France : que l’on se souvienne de ces fameuses « lettres » [5], sur l’agriculture, sur la décentralisation, sur les ouvriers, mais aussi dans ses manifestes [6] et dans la très nombreuse correspondance [7] qu’il a eu tout au long de sa vie avec les principaux responsables politiques du pays.

Cet aspect des choses est relativement connu.
Il n’en est pas de même de la politique étrangère. Or, ce roi en exil n’est-il pas particulièrement à même de comprendre les problèmes qui se posent à l’ordre international ?
Il écrit à l’un de ses correspondants :

Au nombre des questions qui doivent être soigneusement examinées, l’une des plus graves est celle qui touche aux rapports de la France avec l’étranger [8].
Dans tout ce milieu du XIXe siècle, deux questions agitent les chancelleries et exacerbent la réflexion du Prince : La question européenne.
 Celle du bassin méditerranéen.

Monde, certes, réduit à l’échelle du vieux continent, mais le Comte de Chambord avait bien compris que c’était là où tout l’avenir de l’Europe, allait, justement, se jouer.
Voyons donc ces deux théâtres d’opération.

Henri V et la question européenne

De l’exil en Angleterre et en Écosse jusqu’à la mort en Autriche et l’enterrement en Italie (actuelle), le Comte de Chambord a connu toute l’Europe.
Or, cette Europe du XIXe siècle fut une Europe très troublée, une Europe en pleine mutation. Face à l’Europe des empires, et à l’Europe chrétienne se mettait en place peu à peu l’Europe des Nations.

 En 1830 c’est la Belgique qui est créée. État tampon dont le couple royal est à lui seul un modèle de diplomatie. La femme de Léopold Ier, prince allemand, est la fille du roi Louis-Philippe.
 La Pologne aux mains — déjà — de la Russie est agitée.
 En Suisse c’est la guerre du Sonderbund. Troubles liés aux libertés religieuses cantonales. Lutte des cantons catholiques qui ne reçoivent qu’une aide morale des anciennes nations chrétiennes.
 Mais surtout deux problèmes retiennent l’attention : l’unité allemande, l’unité italienne.
Face à ces deux événements que l’historiographie moderne, au nom de l’unique principe des nationalités, lie toujours, le Prince aura une réaction différente.

Henri V et le danger de l’unité allemande

De l’unité allemande, il décèle tout de suite les dangers. C’est un empire fort qui est en train de se créer aux frontières de la France. Favoriser cette unité c’est favoriser la naissance d’un ennemi potentiel. La politique de tous nos Rois a été toujours d’aller contre cette unité, jouant habilement de la rivalité entre les Princes. Or c’est cette politique que le Second Empire va être incapable, au nom des nouveaux principes, de mener, nous conduisant peu à peu au désastre de 1870.
C’est une raison de plus, écrit le Prince, pour ne pas négliger les conseils d’une politique prévoyante, pour ne pas accepter en silence ce que nos pères se sont efforcés d’empêcher dans tous les temps, pour ne pas laisser se former à nos portes deux vastes empires [9].
Napoléon III n’a pas de ces vues et quelques années plus tard, l’Empire allemand sera proclamé, sur nos ruines justement — ô symbole — dans la galerie des glaces de Versailles pour bien montrer en réaction de quelle politique il s’inscrivait.
Mais, avoir proclamé ces vérités haut et fort, fait qu’en 1871, la défaite consommée, Henri, Comte de Chambord voit tourner vers lui toutes les espérances de France. Loin d’avoir précipité notre pays à la ruine, il a été le seul à avoir toujours dénoncé le danger imminent.
Toute la tentative de restauration s’éclaire ainsi.
Ce n’est pas un monarque qui essaye de reconquérir un trône à l’ombre d’une défaite militaire du pouvoir jusque-là en place, c’est celui qui, depuis cinquante ans au service de son pays, a crié garde et qui est salué par tous du nom de Henri V qui reprend sa place naturelle.
Une grande partie de l’opinion se porte spontanément vers lui. Le personnel politique pourtant hérité des années d’erreurs passées bâtira pour lui une nouvelle constitution prête à assurer le passage entre le gouvernement provisoire et la royauté.
C’est la timidité, le manque de courage de s’affirmer et de prendre ses responsabilités de Mac Mahon, face à une faction orléanisto-affairiste, qui craignait de voir ses privilèges remis en cause, qui a fait échouer la restauration.
Le Prince, lui, était déjà là.
«  Français, je suis au milieu de vous », selon les premiers mots du manifeste de Chambord, du 5 juillet 1871.

Le peuple avait envoyé aux Chambres une majorité très largement royaliste.
On n’évoquera jamais assez ce retour possible qui parait si lointain à nos yeux de contemporains. L’événement entièrement conclu c’eût été pour la France et sa monarchie une véritable nouvelle union, neuf cents ans après l’avènement de Hugues Capet.
Cette véritable évolution n’eut pas lieu.

Pendant ce temps une autre Europe continuait à se créer.

Le nationalisme italien contre la papauté

La seconde préoccupation du Comte de Chambord était l’Unité italienne qui elle aussi venait briser l’ancien équilibre européen.
Certes, dans ses lettres, à plusieurs reprises, le Comte de Chambord, mêle Allemagne et Italie et parle des deux Empires aux portes de la France. Mais ce n’est pourtant pas là, à ses yeux, l’essentiel de la question italienne.

Le danger national italien existe mais chacun sent dès cette époque qu’il est bien moindre que le danger germano-prussien. Il n’y a donc pas lieu de s’étendre sur ce point.
Au contraire, l’autre élément de l’unité italienne et le point sur lequel l’historiographie moderne n’insiste souvent pas assez, mérite qu’à la suite du Comte de Chambord l’on s’y arrête. C’est la question romaine, c’est-à-dire cette lutte farouche menée contre la puissance temporelle du Pape.
En effet, ne le nions pas, l’unité italienne répond certes à un besoin d’unité nationale, mais surtout et avant tout c’est le moyen de venir à bout des États pontificaux, c’est-à-dire de la puissance temporelle du souverain pontife. En termes clairs cela équivaut à exclure du domaine politique l’Église, séparation non pas de l’Église avec un État [10], mais séparation du spirituel et du temporel.
Or, cela, le Comte de Chambord, lui qui, déjà, par sa famille est très ouvert aux problèmes italiens [11], le comprend très vite.
Il vient en 1859 assurer le souverain pontife de son soutien. C’est-à-dire — lorsque l’on comprend sa psychologie [12] — du soutien de la fille aînée de l’Église, qu’en tant qu’héritier des Rois de France, il incarne.
En ce sens ce voyage à Rome est très remarqué. Il met en émoi toutes les chancelleries européennes et principalement l’Ambassadeur de France à Rome qui fait tout pour empêcher cette rencontre entre le Pape et Henri V.

Le Prince a compris que les États pontificaux sont la base de la puissance de l’Église ; sont la garantie de la liberté d’action du Saint-Siège. C’est d’ailleurs ce qu’ont toujours pensé les Papes qui jusqu’en 1929 et les accords de Latran se sont considérés comme prisonniers.
C’est en fait à une attaque contre la religion plus qu’à une attaque territoriale que l’on assiste. C’est une guerre idéologique [13].

Henri V, l’héritier des rois très chrétiens, perce immédiatement à jour ce mouvement :
Bientôt on demandera logiquement que de nos lois et de nos tribunaux disparaisse l’idée de Dieu ...
Non, la cause de la souveraineté temporelle du Pape n’est pas isolée : elle est celle de toutes les religions ; celle de la société ; celle de la liberté. Il faut donc à tout prix en prévenir la chute [14].
Le Prince croit que c’est à l’Europe chrétienne que l’on s’en prend. C’est par ce biais l’instauration inéluctable des états démocrates c’est-à-dire livrés aux factions ; matérialistes c’est-à-dire inhumains et voie ouverte aux totalitarismes [15].
Il écrit :

Sous son pouvoir temporel c’est son pouvoir spirituel que la révolution veut atteindre et c’est à la société, à la religion, à l’Église, à Dieu même qu’elle fait la guerre [16].
Ce sont deux conceptions du monde qui s’affrontent.
Il faudra la guerre de 14-18 pour que le dernier état vraiment chrétien — le Saint Empire qui se survivait en Autriche — disparaisse. La Révolution aura alors triomphé et aussitôt une nouvelle internationale apparaîtra : ce sera la Société des Nations, faible parangon humain de la société chrétienne.

Parallèlement aux événements européens le Prince s’intéresse au bassin méditerranéen.

Un fin connaisseur du bassin méditerranéen

L’éloignement progressif du pouvoir des Bourbons de la branche aînée et des conceptions qu’ils véhiculaient modifia radicalement notre politique vis-à-vis du bassin méditerranéen et du monde arabe.
La politique traditionnelle des Bourbons, politique de compréhension et de respect mutuel allait céder la place sous la pression anglaise — seule caution de la dynastie des Orléans comme plus tard de Napoléon III, face à une Europe monarchique en principe attachée à la branche aînée — à une nouvelle politique aux principes reposant non plus sur la civilisation, mais basée uniquement sur les rapports commerciaux.
En caricaturant on peut dire que là où l’on voyait le berceau de la civilisation occidentale et du christianisme, la nouvelle politique anglophile ne va plus voir que la route privilégiée entre l’Europe et les Indes... avant de découvrir le pétrole...
Or le bassin méditerranéen est au moins par deux fois au centre des préoccupations du Comte de Chambord.
 D’abord lors de son voyage au Moyen-Orient en 1861
 et ensuite au moment de la rédaction de sa fameuse lettre sur l’Algérie à une époque où le gouvernement impérial hésitait sur la politique à mener dans cette terre, dernier cadeau de Charles X à la France.

La question du Moyen-Orient en 1861

C’est peu après la révolte des Druzes contre les chrétiens du Liban que le Comte de Chambord traverse tout le Moyen-Orient pour se rendre à Jérusalem [17].
Il s’agit là d’un déplacement quasi officiel. Le Prince est accueilli exactement comme un souverain régnant, avec les mêmes honneurs : réceptions officielles au plus haut niveau ; garde armée mise à sa disposition ; rencontre, avec tout ce qui compte alors au Moyen-Orient, des supérieurs des Ordres religieux jusqu’à Ferdinand de Lesseps sans oublier les militaires et consuls de France et d’Autriche.
Ainsi ce sont dix-sept personnes qui arrivent à Beyrouth qui essaye d’oublier l’horreur qu’elle vient de connaître.

Sur ce voyage nous avons un témoignage de première main puisqu’il s’agit des Carnets du Comte de Chambord lui-même qui viennent d’être heureusement publiés. Déjà dans son ouvrage sur le Prince, Henri de Pêne avait donné un résumé de cette expédition dans un style où plus que la relation sereine, une certaine animosité et même moquerie se faisait sentir.
Le Prince sait qu’il est là dans un pays dont le christianisme a renforcé les liens avec la France : « Pays essentiellement catholique et français », écrit-il [18].
Or ce sont ces derniers qui ont laissé les Druzes et les Turcs massacrer ceux qu’ils auraient dû protéger.
Les consuls de France et d’Autriche sont les jouets des Turcs, comme ils l’ont été avant les massacres, qu’ils auraient pu empêcher [19].
Les soldats français qui avaient débarqué sont restés inactifs :
C’est là qu’étaient campés les Français ; ils y sont restés près d’un an, pleins d’ardeur et de bonne volonté pour venir en aide aux maronites, mais retenus par le gouvernement qui ne voulait pas se brouiller avec les Anglais [20]. Leur arrivée avait fait un grand effet ; elle avait effrayé les coupables et donné du courage à ces populations persécutées ; mais leur inaction produisit une très mauvaise impression et leur départ fit perdre au nom français une grande partie de son prestige [21].
Pour éviter de voir couler le sang de ces chrétiens du Liban il aurait fallu à Paris une réelle politique. Il aurait fallu d’abord s’opposer à la Grande-Bretagne et ensuite animer une politique européenne commune pour établir envers ces terres, objets de toutes les convoitises, une action cohérente.
C’est le contraire qui est fait, constate le Prince.
Les puissances européennes se jalousent et cherchent à se nuire les unes aux autres ; l’Angleterre veut gagner du terrain en soutenant les Turcs et protégeant les Druses. Ses journaux n’ont-ils pas osé dire que c’étaient les maronites qui avaient attaqué et que les Druses n’avaient fait que se défendre ? [22] L’Autriche, par défiance pour Bonaparte et mal renseignée par ses agents, penche du côté de l’Angleterre. La France a perdu de son influence par la conduite anti-nationale du gouvernement actuel [23].
Henri V pense en civilisateur, car pour lui c’est là la mission de la France catholique et royale qu’il incarne, alors que les autres nations et le gouvernement légal français, ne cherchent qu’à établir des zones d’influence économique. Mais sous ce jeu les Français sont tout à fait désavantagés, face à la stabilité et à la ténacité des Anglais qui veulent chasser tous ceux qui ont intérêt à voir l’influence chrétienne et française se maintenir.
Pour le Prince la meilleure solution serait une principauté chrétienne au Liban qui aurait la haute main sur la Terre Sainte et Jérusalem [24].

Ainsi on constate combien les vues du Prince nous ramènent aux événements contemporains, montrant une nouvelle fois combien le présent d’une nation est dépendant de son passé.
Enfin, notons pour mieux définir la pensée de Henri V que ce qu’il propose dans cette partie du monde c’est un « contrat de civilisation ». L’Europe ne doit pas y transposer ses querelles mercantiles et politiciennes, mais s’y imposer comme foyer de paix et de civilisation, en un mot, donner face aux richesses, économiques, potentielles, la primauté au tombeau du Christ.

Un siècle après le voyage du Prince on voit combien il avait raison et si toute la politique de Napoléon III dans cette partie du monde est totalement oubliée, on constate au contraire que le discours du Comte de Chambord demeure actuel.
Non moins prophétiques étaient ses vues sur l’Algérie.

                         La politique algérienne du Comte de Chambord

Une Monarchie colonisatrice mais pas impérialiste

Dans sa lettre du 30 juin 1865 sur l’Algérie le Comte de Chambord rappelle d’abord que l’Algérie a été le dernier cadeau de la Monarchie à la France [25]. Par là elle était fidèle à sa tradition. La Monarchie était colonisatrice et c’est aussi ce qui la différencie des régimes qui l’ont remplacée par la suite et qui au mieux, comme la troisième République, ne furent qu’impérialistes  [26].
L’Algérie fut conquise en 1830 par Charles X, c’est la République, qui n’a jamais su quel statut exact lui donner, qui l’a abandonné cent trente ans plus tard.
Dans sa lettre, véritable programme, le Comte de Chambord envisage l’Algérie tant du point de vue interne qu’international.
Du point de vue interne il pose les bases d’une réelle colonisation durable.
Celle-ci doit reposer sur quatre piliers :
 le développement,
 l’instruction,
 la pacification
 et la religion.

Le développement

Cette terre, dernier « don de la Monarchie », doit être développée comme la France métropolitaine sans arrière-pensée au même titre qu’une autre province : routes, chemin de fer, édifices communaux, etc., doivent être construits comme ils le seraient en métropole. Pour le Prince il ne peut y avoir de réelle intégration sans développement identique à celui de la métropole.

L’instruction

Là encore on sait combien nos rois furent toujours attachés à l’éducation. Il faut créer, bâtir des écoles, pour «  y faire pénétrer peu à peu dans les masses nos idées, notre langue, nos mœurs ».
Sur ce point d’ailleurs la République n’a pas hésité a reprendre les principes du Comte de Chambord mais en les travestissant et en les détournant de leur finalité. Au lieu d’enseigner les idées françaises de la monarchie traditionnelle de droit divin : la justice, l’honneur, l’équité, l’ordre, elle a enseigné ses idéaux révolutionnaires :
 l’égalité source d’anarchie ;
 la liberté source de licence ;
 les privilèges de l’argent ;
 le règne de la démocratie où le nombre triomphe de la valeur
 et surtout la société sans Dieu, la société matérielle et anthropocentrique.

Ainsi ce qui aurait dû être une œuvre de construction fut œuvre de gâchis.

La pacification

Sur la pacification il n’y a pas vraiment à s’étendre si ce n’est que là encore il faut sans doute faire une mise au point. Nos mass-médias ont trop tendance à travestir ce terme et à lui donner un sens péjoratif. On voudrait nous faire croire que la pacification n’est que l’asservissement des plus faibles par les plus forts : les horribles colons soutenus par les militaires pour faire suer le burnous.
Cela est peut-être vrai pour quelques petits potentats orientaux (et cet Orient commence du côté de l’Oural). La Monarchie, elle, a toujours eu une conception active de la paix.
Paix et pacification, non pas pour asservir et maintenir les privilèges de quelques-uns, mais pour rendre libre et assurer la prospérité [27] et permettre au peuple de faire son salut.

Les premiers Capétiens se sont ainsi fait aimer et reconnaître de tous car justement ils furent les défenseurs et mainteneurs de cette paix dans un arrière-pays toujours accru. C’était là la grande alliance entre le peuple de France et ses rois. Peuple libéré de la tutelle des petits seigneurs locaux cruels et se servant de leur pouvoir — né de la dissolution de la puissance publique après les Carolingiens — plus pour leur convenance que pour faire régner l’ordre public, tâche pour laquelle pourtant, ils tenaient leur ministère.
Toute proportion gardée c’était à la même mission qu’il fallait se consacrer en Algérie, créant ainsi peu à peu cette alliance typiquement française entre les plus petits dans la société et le plus grand. Le roi remplissant son devoir d’aide et de secours. Le peuple son devoir de conseil.

La conversion des âmes

Rien ne peut se bâtir de durable si une vraie royauté chrétienne n’est pas restaurée en Afrique du Nord.
Pour cela il faut privilégier l’apostolat catholique.
C’est par là que sera créé le ciment nécessaire à l’œuvre commencée par la pacification, l’enseignement et le développement.

Rétablir l’unité entre le corps et l’âme par le principe supérieur. Le divin dans lequel, au-delà des petits conflits quotidiens, tous se retrouvent pour l’essentiel.
Or, faire de l’Algérie une terre chrétienne c’est simplement opérer une retour aux sources. L’Algérie c’est la terre de la première chrétienté, la terre de saint Augustin. C’est l’Islam l’envahisseur qui s’y est installé par la conquête, pas le christianisme.
Écoutons le Comte de Chambarda : « Je n’ai qu’à rappeler ici un fait, c’est que là où autrefois cent évêchés florissaient on n’en compte aujourd’hui qu’un seul. »
On comprend donc tout ce que programme avait de novateurs car alors beaucoup plus qu’une colonie c’était une nouvelle province que l’on créait au profit du royaume. Nouvelle province qui eut modifié la carte du monde à l’avantage de la France et de la civilisation chrétienne.
C’est ainsi que la vision du Prince débouche sur le plan international de la géo-politique.
Pour lui l’Algérie est l’élément d’un puzzle beaucoup plus vaste qui s’appelle l’équilibre des nations et la place que la France a à y jouer principalement dans ce bassin méditerranéen « cette mer qui a été appelée avec tant de raison un lac français. » Cet élément géo-politique est souvent oublié [28].

Or il faut toujours se souvenir de la guerre larvée anglo-française qui s’est jouée autour de ce bassin pendant plusieurs siècles, les Anglais essayant par tous les moyens de supplanter les Français qui dès Saint-Louis ont su verser le sang le plus noble dans cette partie du monde et y laisser des traces profondes. Or toute la politique anglaise du XIXe siècle a consisté à revenir sur les acquits français, c’est-à-dire sur la civilisation chrétienne dans des buts essentiellement mercantiles.
Or quand les impératifs économiques seront modifiés après la Seconde Guerre mondiale les Anglais verront leur pouvoir remis en cause et ce sera ainsi toute l’Europe qui sera exclue du bassin méditerranéen, perdant ainsi une bonne part de son influence [29].
Or cette vision large de l’histoire et de ses conséquences c’est ce qu’avait présenté le Comte de Chambord dans ses réflexions rapportées plus haut.

Une politique de paix que seule la monarchie peut mener

On mesure mieux maintenant cent ans après la mort du Prince — après cent ans qui ont été marqués par deux guerres mondiales et toutes les guerres de l’abandon colonial — combien cette vue des choses aurait permis d’éviter des larmes et d’épargner des vies humaines.
Mais cette politique ne pouvait être menée que par un pouvoir sûr de sa légitimité, celle-ci étant puisée non dans le suffrage populaire avec tout ce que cela comporte de subjectivité, mais basée au contraire sur l’idée que le pouvoir est confié aux rois par Dieu afin d’assurer avant toute chose la prospérité des hommes et le salut des âmes.

Notes

[1On peut citer : Henri de Pène, Henri de France, Paris 1884 ; Pierre de Luz, Henri V, Paris 1931 ; Pierre Bécat, Henri V et les féodaux, Paris 1974 ; Emmanuel Beau de Loménie, La restauration manquée, réédition, Paris 1979 ; Luigi Bader, Le Comte de Chambord et les siens en exil, album, Paris 1982 et enfin, Alain Jossinet, Henri V, Bordeaux 1983.
[2On n’insistera jamais assez sur cette idée essentielle, les philosophes ont inversé la proposition faisant du bonheur individuel les bases du bonheur collectif. Leur idéalisme leur a caché que cette solution ne menait qu’à la multiplication des égoïsmes et donc au point de vue du pouvoir à l’anarchie.
[3Au XIXe siècle le culte du drapeau était encore inexistant. Une serviette pour le Pape. C’est tout dire.
[4Nous employons sciemment cette formule appliquée en principe au communisme, car elle nous paraît, pour les idées révolutionnaires d’une grande justesse. Liberté, égalité, fraternité. Ces mots sonnent juste c’est leur usage qui est faussé par les révolutionnaires puisque la société a perdu sa tète. Or dans une société désordonnée il n’y a place ni pour les libertés — car qui peut la faire respecter — ni pour l’égalité qui demande un minimum de norme, de référence ; ni pour la fraternité qui ne peut cohabiter avec l’individualisme.
[5Lettre sur la décentralisation, 14 novembre 1862 ; Lettre sur l’Algérie, la décentralisation et l’enseignement, 30 janvier 1865 ; Lettre sur les ouvriers, 20 avril 1865.
[6 Manifeste de Froshdorf du 25 octobre 1852 ; Manifeste de la frontière suisse du 9 octobre 1870 ; Manifeste de Chambord du 5 juillet 1871 ; Manifeste du 2 juillet 1874.
[7Voir par exemple, Correspondance de M. le Comte de Chambord, de 1841 à 1871 (édition augmentée), Genève 1871.
[8Lettre au marquis de Montaigu, 23 février 1861.
[9 Lettre au Vicomte de Saint Priest. 9 décembre 1860.
[10Comme cela sera fait en France en 1905.
[11Sa mère était née à Naples et la dynastie de son grand-père maternel sera renversée par les tenants de l’unité italienne. Sa femme le lie au Duché de Modène ; sa sœur à celui de Parme.
[12Très éclairée depuis la publication de son « Journal de voyage en Orient », Paris, Tallandier 1984.
[13Lettre au Vicomte de Saint Priest, du 9 décembre 1866 : « dans son pouvoir temporel c’est bien son autorité spirituelle qu’on veut atteindre ».
[14 Idem.
[15Il est frappant de constater que les deux états qui ont sombré par la suite dans le totalitarisme sont justement l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. Ces deux états où l’unité fut créée contre l’Empire d’une part et contre la papauté d’autre part.
[16Lettre à Charles de Riancey, 12 mai 1866.
[17À une époque où les voyages sont encore de véritables expéditions, le Comte de Chambord (et sa suite) partant de Froshdorf parcourt d’abord toute l’Europe de l’Est pour rejoindre le Bosphore, puis la Turquie avant d’arriver à Jérusalem et de là se rendre en Égypte. Le voyage durera six mois.
[18 P. 110.
[19 P. 110.
[20Souligné par nous.
[21 Editions Chaffanjon, p. 107.
[22Cette remarque du Comte de Chambord nous amène à deux réflexions. La première concernant la personnalité du Prince : on voit par là combien il se tient informé de tout et la finesse de son analyse ; la seconde sur la manipulation de la presse et de l’opinion, sujet pour lequel on renvoit à La Science Historique n° 4-5 et à la publication du Colloque sur l’opinion publique de l’Institut Saint Pie X, par les éditions Fideliter (Notre-Dame-du-Pointet, 1984).
[23 P. 110.
[24P. 111.
[25Sur ce point, voir du Prince Sixte de Bourbon-Parme, La dernière conquête du Roi, Alger 1830, Paris, Calmann Lévy, deux volumes, 1930.
[26 Beaucoup serait à écrire encore à ce sujet, mais pensons déjà — piste de recherches ultérieures ? — à la différence des liens qui existent entre la France actuelle et les anciennes colonies royales (Canada, Louisiane) et les colonies républicaines (Indochine et Afrique).
[27Sur ces points on ne relira jamais assez la Lettre sur les ouvriers, du 20 avril 1865, synthèse d’une pensée continue sur la politique sociale de la Monarchie.
[28 Sur ce point la lecture du Voyage en Orient du Comte de Chambord est très instructive.
[29Et depuis on parle de recentrage du monde autour du Pacifique : cf. Atlas stratégique. Paris, Fayard 1983.


Fonte:

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